LES PROTOCOLES DES SAGES DE SION SONT-ILS AUTHENTIQUES ?
Réfutation de la thèse parue dans l'Express le 11 décembre 1999
Par
souci d'objectivité nous avons ajouté nos propres commentaires en
caractères rouges.
Les secrets d'une
manipulation antisémite par Eric Conan [Cohen?],
article publié le 18/11/1999 par L'Express :
Les Protocoles des Sages
de Sion, le célèbre faux fabriqué contre les juifs, ont été
rédigés en France au début du siècle par un intrigant russe.
L'auteur est enfin identifié. Les ravages, eux, continuent.
C'est la plus célèbre -
et la plus tragique - des falsifications du XXe siècle, à la base
du mythe antisémite du "complot juif mondial". Le texte
des Protocoles des Sages de Sion vient de livrer son dernier mystère:
un historien russe, Mikhail Lépekhine, a établi l'identité de son
auteur, grâce aux archives soviétiques [Si
les bolcheviques avaient découvert l'auteur des Protocoles, ils
l'auraient fusillé sur le champ.]. Elle permet de comprendre
pourquoi il a fallu attendre si longtemps [1921-1999
= 78 ans !] pour connaître cet épilogue: le faussaire,
Mathieu Golovinski, qui a effectué sa besogne à Paris, au début du
siècle, pour le représentant en France de la police politique du
tsar, était devenu, après la révolution russe de 1917, un notable
bolchevique... La découverte de ce sinistre pied de nez historique
permet de combler les dernières lacunes dans l'histoire d'une
imposture qui, après avoir fait beaucoup de ravages en Europe,
connaît un destin encore florissant dans beaucoup de régions du
monde.
Historien de la
littérature russe, Mikhail Lépekhine est l'un des meilleurs
connaisseurs des "publicistes" de la fin du XIXe siècle,
ces personnages à la fois écrivains, journalistes et essayistes
politiques qui interviennent sous forme de libelles, d'articles et de
livres dans les convulsions de la vie publique russe de l'époque. Sa
spécialité: les années charnières du règne d'Alexandre III
(1881-1894) et du début du règne de Nicolas II (1894-1902), période
agitée qui précède les turbulences révolutionnaires. Ancien
conservateur des archives de l'Institut de littérature russe et
chercheur en histoire des imprimés de la bibliothèque de l'Académie
des sciences de Russie à Saint-Pétersbourg, Mikhail Lépekhine
étudie la vie et l'oeuvre de tous ces individus, y compris ceux de
deuxième et troisième ordre, pour la plupart réunis dans le
monumental Dictionnaire biographique russe en 33 volumes, dont il
dirige l'édition.
C'est en travaillant sur
l'un de ces publicistes, Mathieu Golovinski, fils d'aristocrate,
avocat radié pour détournement de fonds, journaliste à scandale et
intriguant dans les milieux politiques russes de Saint-Pétersbourg
et de Paris, qu'il a plongé dans l'histoire des Protocoles, qui,
jusqu'alors, ne constituaient pas pour lui un sujet de préoccupation.
Dépouillant tous les fonds documentaires concernant Golovinski, il a
trouvé dans des archives françaises conservées à Moscou depuis
quatre-vingts ans la trace de son rôle dans la fabrication du
célèbre faux [Durant 78 ans les Juifs ont
accusé sans preuve Mathieu Golovinski, d'être l'auteur des
Protocoles]. Mikhail Lépekhine mesure vite l'importance de sa
découverte [Une « trace »
incriminant Mathieu Golovinski aurait été découverte !] en
faisant le bilan des connaissances actuelles sur l'histoire des
Protocoles, dont un chercheur français, Pïerre-André Taguieff, a
récemment publié la synthèse la plus complète. Il vient de
trouver le chaînon manquant - l'identité du faussaire - au
croisement de deux longues histoires: celle d'un petit arriviste dont
ce "travail" ne fut qu'un bref moment de sa vie agitée et
trouble et celle d'un faux infâme pour lequel Mathieu Golovinski ne
fut qu'un exécutant technique [Les recherches
de Leslie Fry ont permis de découvrir l' auteur des Protocoles, il
s'agirait de Ahad Ha'am – de son vrai nom Asher Ginzberg
(1856-1927)].
Les Protocoles des Sages
de Sion, parfois surtitrés Programme juif de conquête du monde,
sont un texte connu sous deux versions proches, éditées en Russie,
d'abord partiellement, en 1903, dans le journal Znamia, puis, dans
une version complète, en 1905 et en 1906. Ils se présentent comme
le compte rendu détaillé d'une vingtaine de réunions
judéo-maçonniques secrètes au cours desquelles un "Sage de
Sion" s'adresse aux chefs du peuple juif pour leur exposer un
plan de domination de l'humanité. Leur objectif: devenir "maîtres
du monde" après la destruction des monarchies et de la
civilisation chrétienne. Ce plan machiavélique prévoit d'utiliser
la violence, la ruse, les guerres, les révolutions, la modernisation
industrielle et le capitalisme pour mettre à bas l'ordre existant,
sur les ruines duquel s'installera le pouvoir juif [Tu
seras béni plus que tous les peuples (...) Et tu consumeras tous les
peuples que l’Éternel, ton Dieu, te livre (...) Si tu dis dans ton
coeur : Ces nations sont plus nombreuses que moi, comment pourrai-je
les déposséder ? Ne les crains point ; souviens-toi de ce que
l’Éternel, ton Dieu, a fait au Pharaon et à toute l’Égypte.
(Deutéronome 7 : 14, 16, 17, 18)].
Ce "document secret"
est rapidement mis en doute par le comte Alexandre du Chayla, un
aristocrate français converti à l'orthodoxie et qui luttera plus
tard au sein de l'armée blanche contre les bolcheviques [Le
comte de Chayla a honteusement été expulsé de l'armée de Wrangel,
comme agent bolchevique. Sa condamnation à mort pour haute trahison
ne fut empêchée que par l'intervention de l'Ambassadeur de
France.]: il avait rencontré en 1909 le premier éditeur des
Protocoles, Serge Nilus, pape du mysticisme russe, qui lui avait
montré l' "original". Pas du tout convaincu, le comte
racontera par la suite avoir eu l'impression de rencontrer un
illuminé pour qui la question de l'authenticité du texte importait
peu. "Admettons que les Protocoles soient faux, lui a déclaré
Nilus. Mais est-ce que Dieu ne peut pas s'en servir pour découvrir
l'iniquité de ce qui se prépare? Est-ce que Dieu, en considération
de notre foi, ne peut pas transformer des os de chien en reliques
miraculeuses? Il peut donc mettre dans une bouche de mensonge
l'annonciation de la vérité!"
Les Protocoles sont en
fait "lancés" dans le grand public par le Times de Londres
du 8 mai 1920, dont un éditorial intitulé "Le Péril juif, un
pamphlet dérangeant. Demande d'enquête" évoque ce "singulier
petit livre", auquel il semble accorder du crédit. Le Times se
rattrape un an plus tard, en août 1921, en titrant "La fin des
Protocoles" et en publiant la preuve du faux. Le correspondant à
Istanbul du quotidien britannique avait été contacté par un Russe
blanc réfugié en Turquie qui, visiblement bien informé, lui avait
révélé que le texte des Protocoles était le décalque d'un
pamphlet français contre Napoléon III. Une vérification rapide
avait prouvé la falsification: les Protocoles reprenaient
effectivement le texte du Dialogue aux Enfers entre Machiavel et
Montesquieu, publié à Bruxelles en 1864 par Maurice Joly, un avocat
antibonapartiste qui voulait montrer que l'empereur et ses proches
complotaient pour s'emparer de tous les pouvoirs de la société
française. Utilisant ce texte oublié qui avait valu deux ans de
prison à Maurice Joly, le faussaire des Protocoles [le
Juif Ahad Ha'am ?] avait
remplacé "la France" par "le monde" et "Napoléon
III" par "les juifs". La supercherie, grossière,
éclatait par simple comparaison ligne à ligne des deux textes. Le
faux était dévoilé, mais le mystère de son origine demeurait.
[C'est exact, l'auteur des Protocoles
(probablement le Juif Ahad Ha'am) s'est servi de quelques passages du
Dialogue aux Enfers, pour établir son plan de domination mondiale].
On savait simplement que le texte original était rédigé en
français et l'on supposait qu'il avait pu être fabriqué au tout
début du siècle, à Paris, dans les milieux de la police politique
russe.
C'est
dans les archives du Français Henri Bint, agent des services russes
à Paris pendant trente-sept ans, que Mikhail Lépekhine a vérifié
que Mathieu Golovinski était le mystérieux auteur du faux.
Recevant en 1917 à Paris Serge Svatikov, l'envoyé du nouveau
gouvernement russe de Kerenski chargé de démanteler les services
secrets tsaristes et de "débriefer" - et parfois retourner
- ses agents, Henri Bint lui
explique que Mathieu Golovinski était l'auteur des Protocoles et que
lui-même a notamment été chargé de la rémunération du
faussaire. Le dernier ambassadeur du tsar, Basile Maklakov,
étant parti avec les archives de l'ambassade, qu'il donnera en 1925
à la fondation américaine Hoover [Pourquoi la
fondation Hoover n'a t-elle pas révélé l'identité de l'auteur des
Protocoles ?], Serge Svatikov achète à Henri Bint ses
archives personnelles. Rompant ensuite avec les nouveaux dirigeants
bolcheviques, Svatikov dépose les archives Bint à Prague, dans le
fonds privé des "Archives russes à l'étranger". En 1946,
les Soviétiques mettent la main sur ce fonds qui rejoint à Moscou
les archives d'Etat de la Fédération de Russie [Le
témoignage d'Henri Bint est-il plus fiable que les deux
témoignages précédents (Catherine Radziwill puis le comte du
Chayla) ? Henri Bint était-il à la fois membre de la sûreté
française et de l'Okrana (police secrète russe) ?].
Une petite ruse de
l'Histoire
Le secret de Golovinski
est donc préservé jusqu'à l'effondrement du communisme et
l'ouverture générale des archives, en 1992. Le faussaire antisémite
étant en effet devenu "compagnon de route" des
bolcheviques dès 1917, les Soviétiques n'ont eu aucune envie de
révéler cette petite ruse de l'Histoire, qui semble encore gênante
aujourd'hui, puisque la découverte de Mikhail Lépekhine, révélée
en août dernier par Victor Loupan dans Le Figaro Magazine, n'a
suscité aucun intérêt dans la grande presse française [Dans
une une interview publiée par « The American Hebrew » Catherine
Radziwill déclara que les Protocoles avaient été rédigés après
la guerre russo-japonaise (1904-1905) et après le déclenchement de
la première révolution russe de 1905, ce qui exclu une erreur de
date - il y a bien faux témoignage : les Protocoles ont été
diffusé en Russie dés 1903 par le journal Zamnia ! Catherine
Radziwill prétend que l'auteur des Protocoles est un certain Mathieu
Golovinski , et elle parle d'une tache d'encre bleue sur
l'original des Protocoles - cette légende sera reprise par le comte
du Chayla].
Grâce à sa connaissance
détaillée de l'itinéraire de l'auteur des Protocoles, Mikhail
Lépekhine peut aujourd'hui, au terme de cinq années de recherches,
retracer complètement les circonstances et les objectifs de la
fabrication de ce faux. Né le 6 mars 1865 à Ivachevka, dans la
région de Simbirsk, Mathieu Golovinski est issu d'une famille
aristocratique descendant d'un croisé, le comte Henri de Mons.
Famille bien née, mais turbulente: "Le grand-oncle de Mathieu
Golovinski fut condamné à vingt ans d'exil en Sibérie pour sa
participation au complot antimonarchiste des décembristes et Basile,
son père, proche de Dostoïevski, fut condamné à mort et gracié
en même temps que l'écrivain, après un simulacre d'exécution",
raconte Mikhail Lépekhine. Libéré après s'être engagé plusieurs
années comme soldat dans la guerre du Caucase, Basile meurt
dépressif en 1875, laissant le petit Mathieu Golovinski entre les
mains de sa mère et d'une gouvernante française qui en fait un
excellent francophone. Etudiant en droit désinvolte, mais habile et
sans grands scrupules, Mathieu Golovinski semble très tôt doué
pour l'intrigue. Le jeune arriviste parvient à entrer en contact
avec le comte Vorontsov-Dahkov, proche du tsar et ministre à la
cour: convaincu de la menace d'une conspiration, le comte a fondé,
après l'assassinat d'Alexandre II, la Sainte-Fraternité,
organisation secrète répondant à la terreur par la terreur et la
manipulation. La Sainte-Fraternité fut en effet l'une des premières
"forgeries" de faux documents, fabricant notamment de faux
journaux révolutionnaires.
Nommé fonctionnaire à
Saint-Pétersbourg, Mathieu Golovinski travaille dans les années
1890 pour Constantin Pobiedonostsev, procureur général du
Saint-Synode et l'un des inspirateurs d'Alexandre III. Chrétien
militant, le dignitaire orthodoxe a mis sur pied un programme
d'évangélisation d'un peuple païen de la Volga, les Tchauvaches,
en compagnie de l'oncle de Mathieu Golovinski et d'Ilya Oulianov,
père du futur Lénine. "Constantin Pobiedonostsev est obsédé
par l'invasion de l'appareil d'Etat par les juifs, qu'il juge ''plus
intelligents et plus doués" que les Russes", explique
Mikhail Lépekhine. C'est par son intermédiaire que Mathieu
Golovinski travaille pour le Département de la presse, officine
chargée d'influencer les journaux en remettant à leurs directeurs
des articles prêts à publier, voire en les obligeant à salarier
certains de ses agents, qui, mi-mouchards, mi-journalistes, censurent
de l'intérieur la presse et surveillent sa "ligne". Le
chef de ce Département de la presse, Michel Soloviev, antisémite
fanatique, fait de Golovinski son "deuxième rédacteur".
"Golovinski a la plume très facile. Il est doué et assume
pendant cinq ans cette fonction trouble avec aisance, en dilettante
doué et en jouisseur", précise Mikhail Lépekhine, qui a lu
nombre de ses textes de l'époque.
Cette agréable sinécure
échappe brutalement à Mathieu Golovinski: Soloviev meurt et
Pobiedonostsev n'a plus la même emprise sur le nouveau tsar, Nicolas
II, qui paraît désireux d'instaurer un style différent. Les hommes
de l'ombre changent et Golovinski se fait traiter publiquement de
"mouchard" par Maxime Gorki. Il s'exile à Paris, ville
qu'il fréquente depuis longtemps, et trouve le même type de
"travail" auprès d'un ancien de la Sainte-Fraternité,
Pierre Ratchkovski, qui dirige les services de la police politique
russe en France. "Golovinski est notamment chargé d'influencer
les journalistes français dans leur traitement de la politique du
tsar. Il lui arrive ainsi d'écrire des articles qui passent dans de
grands quotidiens parisiens sous la signature de journalistes
français!" précise Mikhail Lépekhine [Mikhail
Lépekhine est-il francophone ?]. Toujours aussi actif, il
complète ces activités en publiant en 1906, aux éditions Garnier,
un dictionnaire anglais-russe plagié d'une édition russe,
entreprend des études de médecine durant trois ans et connaît une
vie aisée à Paris, grâce à une pension que continue à lui verser
sa mère, tout en dissimulant cette hyperactivité sous les
apparences tranquilles d'un banlieusard résidant à Bourg-la-Reine
jusqu'en 1910.
Un intrigant au
service des puissants
La propagande
contre-révolutionnaire à destination des élites politiques
françaises est l'une des activités principales de Ratchkovski, qui
a créé à Paris une Ligue franco-russe: les relations entre les
deux pays constituent alors un enjeu primordial et l'ancien de la
Sainte-Fraternité conserve les obsessions du clan orthodoxe
ultra-réactionnaire, qui veut convaincre le tsar qu'un complot
judéo-maçonnique se cache derrière le courant libéral et
réformateur. Or Nicolas II, moins perméable à cette thématique
que ses prédécesseurs, se montre préoccupé par les critiques
occidentales relatives à la politique russe de discrimination à
l'égard des juifs. Ratchkovski a donc l'idée d'une manoeuvre
destinée à convaincre le tsar du bien-fondé des préventions
antisémites. Sous l'influence d'Ivan Goremykine, ancien ministre de
l'Intérieur en disgrâce, il veut notamment que le tsar se
débarrasse du comte Sergueï Witte, chef de file des modernisateurs
au sein du gouvernement. Il s'agit donc de produire une "preuve"
décisive de ce que la modernisation industrielle et financière de
la Russie est l'expression d'un plan juif de domination du monde.
D'où la commande de
Ratchkovski à Golovinski d'un faux - un parmi tant d'autres, pour ce
polygraphe doué - destiné à l'origine à un seul lecteur: le tsar.
En effet, Ratchkovski semble avoir imaginé une habile manoeuvre:
sachant que le mystique Serge Nilus a des chances de devenir le
nouveau confesseur du tsar, il pense faire remettre à Nicolas II son
faux manuscrit antisémite par cet intermédiaire de confiance. Selon
Mikhail Lépekhine, c'est donc à Paris, à la fin de 1900 ou en
1901, que Golovinski rédige les Protocoles en se servant du pamphlet
de Maurice Joly contre Napoléon III. Mais le stratagème tombe à
l'eau: Serge Nilus n'est pas nommé confesseur. Il conserve cependant
le texte, qu'il publiera en 1905 en annexe de l'un de ses ouvrages,
Le Grand dans le Petit. [En
1884, la fille d'un général russe, Mlle Justine Glinka, s'efforçait
de servir son pays à Paris au moyen d'informations politiques
qu'elle communiquait au général Orgevskii, à Saint-Pétersbourg.
Pour ce faire, elle se servait d'un juif nommé Joseph Schorst,
membre de la Loge de Misraïm de Paris. Un jour Schorst lui promit de
lui obtenir, moyennant la somme de 2.500 francs, un document de haute
importance pour la Russie. L'argent ayant été reçu de
Saint-Pétersbourg et remis à Schorst, le document fut donné à
Mlle Glinka. Elle envoya l'original en français accompagné d'une
traduction en russe, à Orgevskii. Celui-ci fit tenir le tout à son
chef, le général Cherevin, pour être transmis au Tsar. Mais
Cherevin qui avait quelques obligations à certains juifs opulents,
refusa de transmettre ledit document, et se contenta de le classer
dans les archives (…) De retour en Russie Mlle Glinka donna une
copie des Protocols à Alexis Sukhotin, gouverneur général de
l'Orel. Sukhotin montra le document à deux amis : Stepanov et Nilus
; le premier le fit imprimer et circuler dans l'intimité en 1897 ;
le second, le professeur Serge A. Nilus, le publia pour la première
fois à Tsarkoe-Tselo (Russie) en 1901, dans un livre intitulé «Le
grand dans le petit». Et, vers la même époque, un ami de Nilus, G.
Butmi, le fit également éditer. Un exemplaire de son ouvrage fut
déposé au British Museum, le 10 août 1906 (Leslie Fry, Le retour
des flots vers l'Orient , 1931)].
L'Antéchrist
est une possibilité politique imminente, qui est remis au tsar et à
la tsarine. Ce livre explique que, depuis la Révolution
française, un processus apocalyptique s'est enclenché, qui risque
de déboucher sur la venue de l'Antéchrist.
"La rédaction des
Protocoles ne constitue qu'un moment dans l'existence de Golovinski,
précise Mikhail Lépekhine. Je ne pense pas qu'il se soit rendu
compte de la portée de son travail. Ainsi, lors de leur élaboration,
il en parle et en lit des passages à une amie de sa mère, la
princesse Catherine Radziwill. Réfugiée aux Etats-Unis, celle-ci
est la seule, dans les années 20, à désigner, dans une revue
juive, Golovinski comme l'auteur des Protocoles. Mais elle n'a pas de
preuve et son témoignage, comportant beaucoup d'erreurs, n'est pas
retenu." [L'Express oublie de préciser
que Catherine Radziwill avait été condamnée à dix-huit mois de
prison pour falsification de chèques]. Il en est de même
lors d'un procès tenu à Berne, en 1934, à la demande de la
Fédération des communautés juives de Suisse, qui voulaient établir
la fausseté des Protocoles, alors diffusés par les nazis suisses:
"Le nom de Golovinski est mentionné tant par Serge Svatikov que
par le journaliste d'investigation Vladimir Bourtsev, tous deux
témoins cités par les plaignants", ajoute Pierre-André
Taguieff.
Mathieu Golovinski
poursuit sa vie d'intrigant au service des puissants du jour qui
veulent bien employer ses talents. De retour en Russie, il travaille
ainsi pour Ivan Tcheglovitov, ministre de la Justice, puis pour
Alexandre Protopopov, qui devient ministre de l'Intérieur en 1916.
Il publie aussi, en 1914, un ouvrage de propagande, Le Livre noir des
atrocités allemandes, signé "Dr Golovinski". Car il se
fait désormais passer pour médecin, sans avoir pourtant obtenu
aucun diplôme après ses études parisiennes.
La "preuve"
du "complot juif"
La chute du tsarisme ne
saurait ébranler un si bon nageur en eau trouble. Il se retrouve dès
1917... député d'un soviet de Petrograd (Saint-Pétersbourg): le Dr
Golovinski est célébré par les révolutionnaires comme le premier
des rares médecins russes à avoir approuvé le coup d'Etat
bolchevique! La carrière de ce "médecin rouge" est, dès
lors, fulgurante: membre du Commissariat du peuple à la santé et du
Collège militaro-sanitaire, c'est un personnage influent du nouveau
régime dans sa politique de santé. Il participe au lancement des
pionniers (les membres d'une organisation d'embrigadement de la
jeunesse), conseille Trotski pour la mise en place de l'enseignement
militaire et fonde en 1918 l'Institut de culture physique, future
pépinière de champions soviétiques, dont il prend la direction.
Devenu notable, il ne profite pas longtemps de son nouveau pouvoir et
meurt en 1920, au moment précis où ses Protocoles commencent à
connaître un grand succès grâce à leurs traductions anglaise,
française et allemande.
La Première Guerre
mondiale, la révolution russe et le chaos en Allemagne semblent
confirmer les prophéties du faux antisémite: l'histoire dramatique
dans laquelle sont plongées l'Europe et la Russie ont un effet
d'authentification de ce texte, dont un exemplaire est d'ailleurs
trouvé dans la chambre de la tsarine après le massacre de la
famille de Nicolas II - indice, pour certains Russes blancs
antisémites, qu'il s'agit bien d'un crime "judéo-bolchevique"...
[sous le règne de la terreur
judéo-bolchevique, la simple possession d'un exemplaire des
Protocoles des sage de Sion était passible de la peine de mort].
La démonstration de la falsification apportée par le Times n'entame
pas le crédit des Protocoles, qui ne cessent d'être présentés en
Europe comme la "preuve" du "complot juif
international", tout au long des années 30. Le faux fait
l'objet de nombreuses éditions, qui ne se limitent plus aux organes
antisémites. Ainsi, en France, c'est une maison d'édition reconnue,
Grasset, qui les édite, dès 1921, avec de nombreuses réimpressions
jusqu'en 1938. Aux Etats-Unis, c'est le constructeur automobile Henry
Ford, qui, croyant à leur authenticité, les diffuse à travers sa
presse.
Les
prophéties économiques des Protocoles sont pourtant toujours
d'actualité :
«
Chaque emprunt prouve la faiblesse du gouvernement et son incapacité
de comprendre ses propres droits. Tout emprunt, comme l’épée de
Damoclès, est suspendu sur la tête des gouvernants, qui, au lieu de
lever directement l’argent dont ils ont besoin en établissant des
impôts spéciaux, s’en vont, chapeau bas, chez nos banquiers.
Les
emprunts étrangers sont comme des sangsues : on ne peut les détacher
du corps de l’État, il faut qu’elles tombent d’elles-mêmes,
ou bien que le gouvernement réussisse à s’en débarrasser. Mais
les gouvernements des Gentils n’ont aucun désir de secouer ces
sangsues ; bien au contraire, ils en accroissent le nombre, se
condamnant ainsi à mort par la perte de sang qu’ils s’infligent.
A tout prendre, un emprunt étranger est-il autre chose qu’une
sangsue ? Un emprunt est une émission de valeurs d’État qui
comporte l’obligation de payer les intérêts de la somme empruntée
suivant un taux donné. Si l’emprunt est émis à 5 %, au bout de
vingt ans l’État aura déboursé, sans aucune nécessité, une
somme égale au montant de l’emprunt, et cela pour le simple
paiement des intérêts. Au bout de quarante ans, cette somme aura
été déboursée deux fois, et trois fois au bout de soixante ans,
l’emprunt lui-même demeurant impayé.
D’après
ce calcul, il est évident que de tels emprunts, sous le régime
actuel des impôts (1901), arrache ses derniers centimes au pauvre
contribuable, et cela pour payer les intérêts aux capitalistes
étrangers, auxquels l’État emprunte l’argent. L’État ferait
bien mieux de recueillir les sommes nécessaires en levant un impôt
qui ne le grèverait pas d’intérêt à payer.
Tant
que les emprunts furent nationaux, les Gentils faisaient tout
simplement passer l’argent des pauvres dans la poche des riches ;
mais, lorsque, à force de corruption, nous eûmes acheté les agents
nécessaires, les emprunts étrangers furent substitués aux emprunts
nationaux, et toute la richesse des États se rua dans nos coffres,
si bien que les Gentils en vinrent à nous payer une sorte de tribut.
Par
leur négligence dans la conduite des affaires de l’État, ou par
la vénalité de leurs ministres, ou par leur ignorance des choses
financières, les souverains des Gentils ont rendu leurs pays à tel
point débiteurs de nos banques qu’ils ne pourront jamais payer
leurs dettes. Vous devez comprendre quelles peines nous a coûté
l’établissement d’un tel état de choses. »
Protocoles
des sages de Sion : Les emprunts, faiblesse de l’État
(traduction Nilus).
La propagande nazie
exploite et diffuse les Protocoles. En 1923, Alfred Rosenberg leur
consacre une étude et, dans Mein Kampf (1925), Adolf Hitler écrit
que "les Protocoles des Sages de Sion - que les juifs renient
officiellement avec une telle violence - ont montré de façon
incomparable combien toute l'existence de ce peuple repose sur un
mensonge permanent", ajoutant que s'y trouve exposé clairement
"ce que beaucoup de juifs peuvent exécuter inconsciemment".
Dès leur arrivée au pouvoir, en 1933, les responsables nazis
confient à leur office de propagande la tâche de diffuser les
Protocoles et de défendre la thèse de leur authenticité.
Rappelons
que les Protocoles prévoient également la deuxième guerre
mondiale :
«
Nous sommes prêts à répondre du tac au tac à toute opposition qui
surgirait contre nous dans un pays quelconque en faisant éclater une
guerre entre lui et ses voisins, et si plusieurs pays projetaient de
s'allier contre nous, nous déchaînerions une guerre mondiale et
nous les pousserions imperceptiblement à y prendre part. »
Protocoles
des sages de Sion – Chap. 4, verset 3 (traduction Butmi).
Après la fin de la
Seconde Guerre mondiale, les Protocoles, désormais interdits dans la
plupart des pays européens, entament une seconde carrière,
consécutive à la création de l'Etat d'Israël. Une première
édition en arabe paraît au Caire en 1951. Suivie de nombreuses
autres, dans toutes les langues, y compris en français, dans la
plupart des pays musulmans. Les Protocoles servent alors à dénoncer
un "complot sioniste". "Selon cette réutilisation, si
les fiers et valeureux Arabes ont pu être vaincus par les juifs
lâches et fourbes, c'est en raison d'un complot international de
forces occultes organisées par les sionistes", explique
Pierre-André Taguieff. "Les Protocoles constituent un modèle
réduit de la vision antijuive du monde la plus propre à la
modernité, vision centrée sur le thème de la domination
planétaire. La référence publique aux Protocoles est, par exemple,
aujourd'hui présente dans les textes et les discours du FIS algérien
et du Hamas palestinien", ajoute le chercheur, qui a établi la
plus importante bibliographie des éditions récentes de ce faux
insubmersible.
L'ennemi absolu,
diabolique et mortel
Bibliographie qui ne
cesse de s'enrichir et ne se limite pas aux pays arabes. Le texte
reparaît publiquement dans beaucoup d'Etats ex-communistes - il est
en vente libre à Moscou - et fait l'objet d'éditions récentes en
Inde, au Japon ou en Amérique latine, avec une large diffusion. Loin
d'être reclus dans d'obscures officines, comme c'est désormais le
cas en Europe, il est, par exemple, en vente dans certains kiosques
de Buenos Aires. Dans ces pays, la survie de ce texte n'a pas été
affectée par la fin de la Seconde Guerre mondiale, tout comme la
démonstration du plagiat qui le constitue n'avait pas empêché son
utilisation contre le "judéo-bolchevisme". C'est la force
de ce "Nostradamus antisémite" que de transcender toute
réfutation rationnelle. Pierre-André Taguieff y voit l'expression
la plus efficace du "mythe politique moderne" du "juif
dominateur": "Par sa structure - la révélation du secret
des juifs par un texte confidentiel qui leur est prétendument
attribué - le texte des Protocoles satisfait au besoin
d'explication, en donnant un sens au mouvement indéchiffrable de
l'Histoire, dont il simplifie la marche en désignant un ennemi
unique. Il permet de légitimer, en les présentant comme de
l'autodéfense préventive, toutes les actions contre un ennemi
absolu, diabolique et mortel qui se dissimule sous des figures
multiples: la démocratie, le libéralisme, le communisme, le
capitalisme, la république, etc. Le succès et la longévité des
Protocoles, fabriqués à l'origine pour des enjeux limités à la
cour de Russie, tiennent paradoxalement au manque de précision du
texte, qui peut facilement s'adapter à tous les contextes de crise,
où le sens des événements est flottant, indéterminable. D'où ses
permanentes réutilisations."
http://www.lexpress.fr/culture/livre/les-secrets-d-une-manipulation-antisemite_817525.html
http://www.lexpress.fr/culture/livre/les-secrets-d-une-manipulation-antisemite_817525.html